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L’homme au camion | Louise Dupré fait la paix avec ses morts

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Dans L’homme au camion, son nouveau , Louise Dupré fait la lumière sur la peur l’abandon qui l’a toujours habitée, en remontant le fil de la vie à la fois digne et tragique de son . Compte rendu de notre visite chez celle selon qui il n’est jamais trop tard pour mieux aimer ses parents.


Publié à 11 h 00

« Je vais te montrer la photo de ma grand-mère tout à l’heure », promet Louise Dupré, alors que s’amorce notre entretien dans le salon de sa maison du quartier Petite-Patrie, à . Après avoir publié en 2014 L’album multicolore, inoubliable chronique du deuil de sa mère, la romancière et poète se remémore son père dans L’homme au camion, un écrit avec l’espoir de combler la distance qui les séparait.

Issu d’un milieu très modeste, Arthur-Aimé ne correspondait pas au stéréotype du père de son époque ni à ceux que l’on accole aux personnes qui n’ont pas eu l’occasion d’aller à l’école. Homme politisé, qui lisait chaque jour La Tribune, et enclin à verser une larme devant un film émouvant, le père de Louise Dupré n’était pas le monsieur renfrogné qui hante bien des histoires campées dans les années 1950.

PHOTO FRANÇOIS ,

Louise Dupré

Ma mère disait : “Il y a des gens qui sont instruits qui n’ont pas d’éducation et il y a des gens qui ont une éducation qui ne sont pas instruits.” Et ces gens-là comme mon père, qui sont dignes, on les ignore. Ils ne sont pas dans , alors qu’ils méritent de l’être.

Louise Dupré

Louise Dupré, 75 ans, appartient à cette génération à qui la Révolution tranquille, et l’avènement d’un accès pour tous à des études supérieures, aura permis de s’élever socialement, dans son cas d’enseigner la littérature et de devenir une des écrivaines les plus importantes de son époque. Mais cette ascension n’aura pas été sans prix.

« J’ai longtemps pensé que mon père était un homme sans culture, confie-t-elle, mais il en avait, une culture, c’était la culture populaire. On est malheureusement plusieurs à s’être sentis obligés de choisir entre la culture populaire et la culture élitiste. »

L’inconscient familial

Mais au-delà de la grande histoire du que lui permet de raconter la petite histoire de son père, c’est aussi une enquête intime sur ce qui compose sa fibre émotive qu’entreprend Louise Dupré.

Un processus qui s’amorce lorsqu’elle apprend, grâce à un de ses frères, que son père, gamin, a été confié à des familles d’accueil non pas parce que ses parents étaient morts, comme elle l’avait toujours cru, mais plutôt parce que son père avait abandonné son clan.

C’est du moins la conjecture à laquelle ses recherches dans des registres et des journaux lui permettent aujourd’hui d’arriver. « J’ai compris que la vie avait été extrêmement cruelle avec mon père, observe-t-elle. Parce que deux personnes qui meurent, c’est le mauvais sort, mais un homme qui laisse une femme avec ses cinq enfants, c’est la tragédie. Cette femme-là, ma grand-mère, a dû être complètement détruite. »

Je ne saurai jamais exactement ce qui est arrivé, mais ça m’a permis de comprendre quelque chose de très profond chez moi, qui est la peur de l’abandon, alors que je n’avais rien vécu dans mon enfance qui aurait pu nourrir ça. Il y a un inconscient familial qui m’a été passé, dans le silence.

Louise Dupré

Pourquoi Louise Dupré n’a-t-elle jamais questionné son père sur son enfance ? « Peut-être parce que ce n’était pas des questions essentielles pour moi à l’époque où je travaillais beaucoup, où ma propre fille était jeune », répond-elle, en faisant remarquer que les temps libres qui accompagnent le grand âge alimentent les réflexions sur nos origines. L’aube et le crépuscule sont parfois moins éloignés qu’on le pense.

« L’autre réponse, c’est qu’on a l’impression que nos parents vont vivre pour toujours et qu’on pourra leur poser ces questions-là plus tard. Mais ce n’est pas la réalité. Je devais aussi sentir la douleur de mon père. Peut-être que je ne me sentais pas assez solide pour affronter cette douleur-là et la colère qui en aurait résulté. »

Renouveler le regard

Méditation sur le legs parental, L’homme au camion ausculte aussi le sentiment de culpabilité propre aux proches de ceux qui, comme le père de Louise Dupré, quittent ce sans faire leurs adieux. C’est que la fille aura dû apprendre à pardonner à son père et à se pardonner à elle-même de ne rien avoir vu venir. « Écrire ne guérit pas, mais renouvelle le regard », observe-t-elle entre les pages de son récit.

Écrire m’a permis de me faire un récit de mon père qui est apaisant, avec des mots justes plutôt que des images floues. Ma relation avec lui n’a pas été parfaite, mais dans un amour profond, il y a le fait d’accepter l’imperfection de l’autre.

Louise Dupré

Arthur-Aimé n’est plus de ce monde depuis une quarantaine d’années. « Mais je me suis beaucoup rapprochée de lui avec ce livre-là. J’apprends encore à l’aimer davantage. Écrire, c’est faire la paix avec ses morts. »

Louise Dupré se lève, file vers une autre pièce et en revient avec, entre les mains, une photo de sa grand-mère paternelle. « Elle était pauvre, dit-elle, mais tu vois comme elle avait le regard digne. Mon père avait le même. »

L'homme au camion

L’homme au camion

Louise Dupré

Héliotrope

162 pages

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