Source : Le Devoir
Yves P. Pelletier a plusieurs cordes à son arc. Réalisateur, scénariste, acteur, humoriste et animateur radio, il est aussi un « ramasseux », c’est lui qui le dit, et un voyageur. Dans Déboussolé, irrésistible récit d’apprentissage où il se remémore, avec une bonne dose d’autodérision et beaucoup de sensibilité, ses premiers voyages, les débuts de RBO, ses amours, ses amitiés et ses deuils, il tire profit de sa manie de tout ramasser.
« J’ai comme fait de la spéléologie parmi toutes les affaires que j’ai ramassées dans ma vie, confie-t-il au téléphone. J’ai tout trié et classé. À un moment donné, je me suis rendu compte de la simultanéité de plusieurs choses que j’avais un peu catégorisées, segmentées, dans ma tête. Il s’en est dégagé comme une histoire, avec un arc dramatique et émotionnel. »
Avide lecteur de Tintin, étudiant en communications, le jeune cinéphile de Laval qu’on y découvre est assoiffé de liberté et rêve de rencontrer la femme de sa vie : « Je voulais être le gars parfait. Manifestement, de façon instinctive, je fais des mauvais choix, mais il faut que je me trouve quelque part. Dans mon spectacle, je disais que mes amours, c’était mes plus grands bonheurs, mais pour les filles avec qui j’ai vécu, c’est l’inverse. Mes années 1980, c’était ça. C’est un retour saturnien. »
Dans un cours de théâtre, où il donne la réplique à des aspirantes actrices, le professeur, qui voyait en lui un Arlequin, le traite de cabotin. Aux oreilles du futur créateur de Stromgol, de Swami Fréchette et de M. Caron, l’insulte sonne comme une vérité, une épiphanie. À sa manière, l’enseignant venait de lui donner la permission d’être léger, d’amuser la galerie. Sans contrainte, sans attaches.
« J’étais content parce que c’était vrai : le vendredi, je faisais le con à la radio avec mes amis. RBO était complètement embryonnaire ; avant CKOI, on était sur le mode de l’improvisation. Tout ce que je voulais, c’était être authentique. Je voulais faire du cinéma qui me ressemble. Je dirais que j’étais plus comme un bateau qui n’a pas d’ancre, ballotté par les vagues, avec beaucoup d’intentions. Je n’ai jamais été très, très groundy. Déboussolé, ça résume bien le truc. »
Partir, revenir
L’idée de replonger dans ses souvenirs de jeunesse lui est venue il y a une dizaine d’années. Yves P. Pelletier désirait retourner aux sources, soit écrire une bédé d’autofiction comme il le faisait pour les journaux étudiants. Or, il s’est plutôt lancé dans l’écriture d’un spectacle, Moi ?, qu’il a présenté à travers le Québec, renouant ainsi avec les petites salles et la proximité des spectateurs. Dans la foulée, le jeu est devenu moins caricatural et l’artiste s’est permis d’être plus transparent dans sa manière de se raconter. Il s’est alors dit que s’il devait refaire un spectacle, celui-ci serait plus personnel. À la fin de la tournée, un livre s’est imposé dans son esprit.
« Il y a plein de gens qui s’expriment, soit sur les réseaux sociaux ou dans les livres, j’ajoute ma voix à ça parce que j’ai le goût. J’ai 61 ans, je suis né en 1961. Ma mère est décédée à 60 ans. Il y a toutes sortes d’affaires inconscientes qui doivent se manifester et qui font que j’ai le goût de raconter ça. Dans les faits, je suis reparti de zéro en me disant que j’allais me mettre dans ma tête de 1983, ma tête de 1987 afin que le point de vue du narrateur soit en 1993. Aujourd’hui, je suis ailleurs. »
De fait, l’excentrique introverti, qui n’a pas souffert d’être privé de voyage depuis deux ans, n’est plus comme celui qu’il a été à 20 ans, pressé de fuir le foyer familial pour partir à la conquête du monde, se laisser porter par le hasard des rencontres.
« J’aime ça être au Québec. Je suis aussi quelqu’un de casanier, de solitaire. J’ai le bonheur d’être en couple ; durant la pandémie, on s’est bien occupés l’un de l’autre. J’ai trouvé des brouillons de lettres de l’époque. J’avais le goût de partir, de voyager. Le décès prématuré de mon frère a été encore plus fort ; la vie est fragile, on est vulnérables. Imagine si je m’étais dit que je travaillerais toute ma vie et voyagerais à la retraite : je serais arrivé en pleine pandémie ! »
Avec la situation présente, le moment n’est sans doute pas propice aux voyages. Au fond, pas plus qu’il ne l’était à l’époque de ses 20 ans, comme il le rappelle en filigrane dans Déboussolé, notamment dans les passages sur l’Europe de l’Est : « Dans les années 1980, il y avait le mur de Berlin, des tensions, la guerre au Liban, un Boeing sud-coréen avait été abattu par les Soviétiques. Adolescent, j’étais hanté par la bombe ; on a craint une guerre mondiale pendant un bout de temps. La chute du mur de Berlin a créé comme un genre de mythe, mais il y a des tensions internationales qui ont perduré pendant tout ce temps-là. En Russie, il y a quelque chose d’inquiétant, il y a une possibilité de dérape. »
Le récit s’achève en 1993, au moment Yves P. Pelletier s’apprête, comme le reporter imaginé par Hergé, à se rendre au Tibet, pays l’ayant fortement bouleversé. Est-ce trop tôt pour rêver d’un deuxième tome ?
« Si j’avais à écrire une suite, il faudrait que je replonge là-dedans. Je travaille sur des projets à long terme, de documentaires et de longs métrages, mais quand est-ce que tout ça va se concrétiser ? Est-ce que ça va se concrétiser ? Ça ne m’appartient pas. J’y vais de façon instinctive, avec mon cœur, ma tête. Mon souci, c’était de créer une histoire qui se tienne. Je n’écris pas pour convaincre ou séduire du monde qui ne m’aime pas ou n’en a rien à foutre de moi. Moi, je veux être divertissant. » Mission : accomplie.
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